SUD-OUEST – Vins de Bordeaux : le désamour des investisseurs chinois – Jean-Charles GALIACY


SUD-OUEST – Vins de Bordeaux : le désamour des investisseurs chinois – Jean-Charles GALIACY
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Vins de Bordeaux : le désamour des investisseurs chinois

Le château Loudenne, dans le Médoc, propriété du groupe chinois Kweichow Moutai durant près de dix ans, est repassé sous giron français cette année. © Crédit photo : Archive Julien Lestage/ « Sud Ouest »

L’intérêt chinois pour les vignes bordelaises semble décliner : quelques investisseurs sont partis, de nombreux autres seraient vendeurs
Sur la départementale 2089, à l’approche de Libourne, le panneau a disparu. Tout un symbole. Le château Lapin impérial, tout comme ses homologues Lapin d’or, Grande antilope ou Antilope tibétaine dans d’autres vignes girondines, ont retrouvé leur nom d’antan. La stratégie marketing impulsée sous le règne de leur propriétaire chinois Chi Keung Tong n’avait pas manqué d’attirer les médias et de faire réagir dans le monde viticole bordelais, il y a cinq ans. Pour pouvoir mieux vendre ses cuvées vers l’empire du Milieu, de nouveaux noms exotiques avaient été adoptés, non sans attirer quelques moqueries.

Depuis l’été dernier, ces domaines ne battent plus pavillon chinois et appartiennent désormais à un investisseur français, Denis Chazarain. Dans le Libournais ou le Médoc, les châteaux ont repris leur dénomination d’origine. Leur nouveau patron, contacté par « Sud Ouest », ne souhaite pas échanger sur ces rachats et les projets qu’il ambitionne mais cette quadruple acquisition témoigne d’une tendance : l’investissement chinois dans le vignoble girondin, assez prégnant durant une dizaine d’années, semble sérieusement fléchir.

À Arveyres, près de Libourne, le château Larteau est devenu quelque temps le château Lapin Impérial.
Archive Stéphane Klein

Sur le départ ?
Illustration avec une autre cession symbolique signée cette année. À Saint-Yzans-de-Médoc, le groupe géant chinois Kweichow moutai s’était offert le château Loudenne en 2013. Une petite décennie et plusieurs millions d’euros investis plus tard, la propriété est revenue dans le giron national, revendue à la famille Gouache, déjà aux manettes des châteaux Bellerive et Valeyrac.

Les investisseurs chinois seraient-ils donc sur le départ ? Les exemples connus se comptent jusqu’à présent sur les doigts d’une main mais, sur le terrain, les acteurs constatent bien un net repli. À la tête de la Safer départementale, Michel Lachat indiquait dans nos colonnes début novembre ne plus observer « un engouement important d’acteurs chinois cherchant à investir dans les propriétés bordelaises ». « Ils ne sont quasiment plus aux achats, expliquait-il. Pour ceux qui sont en place, les situations sont très contrastées au niveau des groupes propriétaires. Certains cherchent à revendre, d’autres souhaitent s’inscrire dans la durée. »

« Ils devaient faire un site formidable, brillant à l’export, cela est retombé comme un soufflet »

À l’abandon
À Saint-Seurin-de-Cadourne, dans le Médoc, le maire Gérard Roi connaît bien cette situation contrastée. L’élu s’est un peu gaussé quand le château Senilhac a été rebaptisé Antilope tibétaine il y a quelques années, sous l’ère de Chi Keung Tong. « Ils devaient faire un site formidable, brillant à l’export, cela est retombé comme un soufflet. Pendant un temps, les vignes n’étaient même pas entretenues », explique-t-il. Mais chez lui, une autre propriété – le domaine Andron – est aussi celle d’autres investisseurs chinois. Et « si les débuts ont été compliqués, nuance-t-il, cela se passe plutôt bien maintenant. »

Certes, leur nombre reste marginal. Mais les exploitations laissées plus ou moins à l’abandon se repèrent aisément dans le vignoble et peuvent contrarier. Notamment du fait de risque de maladies pour les parcelles des vignerons voisins. « Nous avons un certain nombre de propriétés en état de mauvaise culture », souligne Stéphane Gabard, à la tête du syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur. « Il y a quelques années, les reprises par des consortiums chinois étaient de bonnes nouvelles. Aujourd’hui, on constate que certains opérateurs ont cessé l’exploitation de la vigne de manière temporaire ou plus durable. »

Une cinquantaine de propriétés à la vente
Li Lijuan, spécialisée dans la vente de vignobles, gère la clientèle chinoise depuis 2013 chez Christie’s, à Bordeaux. Selon elle, une cinquantaine de propriétés girondines appartenant à des investisseurs chinois seraient aujourd’hui proposées à la vente. Elle doit justement finaliser la cession de l’une d’entre elles dans l’Entre-deux-Mers : une famille française va reprendre l’exploitation.

Li Lijuan, agent immobilière chez Christie’s, recense une cinquantaine de propriétés appartenant à des investisseurs chinois, aujourd’hui proposées à la vente dans le Bordelais.
Archive Fabien Cottereau/ « Sud Ouest »

Plusieurs raisons expliqueraient cette fuite. « Déjà, notre gouvernement ne veut plus que les fonds sortent de Chine. Sans possibilité d’investir, ces entrepreneurs préfèrent revendre, dit-elle. Et puis, chez nous, un dicton dit que tout ce qui est liquide fait gagner de l’argent. Mais finalement, cela s’avère plus compliqué. Les Chinois aiment s’enrichir rapidement, ils sont très forts généralement pour vendre mais ils sont un peu moins portés sur tout le processus de fabrication du vin. » L’agent raconte notamment l’histoire de ce chef d’entreprise se retrouvant avec un stock de centaines de milliers de bouteilles : une piquette invendable.

Certains investisseurs n’hésitent donc plus à lâcher l’affaire, parfois largement à perte. Li Lijuan évoque ainsi l’exemple d’un important homme d’affaires chinois venant de céder son château bordelais à moitié prix. La transaction demeurera confidentielle. « Si cela s’ébruitait, ce serait dévoiler qu’il a perdu la face », précise-t-elle.

153 domaines chinois en Gironde
Selon Laurence Lemaire, autrice du livre « Le Vin, le Rouge, la Chine » en 2016 et qui tient à jour un recensement des domaines français dirigés par des Chinois, « il doit en rester 165 dont 153 en Gironde », tout de même. « De nombreux châteaux tenus par eux s’en sortent aussi très bien, nuance l’écrivaine, habitant Arcachon. Je suis toujours ahurie quand des médias font des articles à charge et qu’on ne parle pas de ceux qui affichent une bonne santé. »

Laurence Lemaire, autrice du livre « Le Vin, le Rouge, la Chine » (éditions Sirène production). Christian Couly

Car l’investissement chinois n’est évidemment pas synonyme de château fantôme ou de vente à perte. Parmi d’autres exemples, Laurence Lemaire cite celui de Bellefont-Belcier, ce grand cru classé de Saint-Emilion tenu par le Hongkongais Peter Kwok et récompensé tout juste d’un Best of wine d’or, pour la qualité de son hébergement.

Autre histoire à succès, celle du château de La Rivière, dans le Fronsadais, pourtant frappé par un tragique accident d’hélicoptère fin décembre 2013 lorsqu’il est passé aux mains de la famille Kok. Tous les ans depuis, des rumeurs l’envoient à la vente. Xavier Buffo, son directeur général, rassure encore une fois sur « la stabilité » du domaine qui, chaque été durant trois jours, accueille le festival « Confluent d’arts », réunissant de nombreux spectacles et plusieurs milliers de visiteurs.

Par Jean-Charles Galiacy